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CLARESS

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De l'âge CLAssique aux REStaurationS

 

Depuis sa création, et cela est toujours d’actualité, deux principes conduisent les travaux de l’axe : la pluridisciplinarité et la complémentarité entre travaux individuels et collectifs. La pluridisciplinarité envisagée ici est construite à partir d’interrogations conjointes sur des objets et non comme une pétition de principes a priori. Cette démarche a porté les travaux sur l’Anecdote, puis sur le Secret, qui, suite à des journées d’étude et colloques, ont donné lieu à des publications collectives, parues (Presses universitaires de Rennes) ou à paraître (Classiques Garnier). Par cette réflexion commune, le souci de la définition du vocabulaire, le croisement des grilles d’analyse, sont interrogés les rapports entre Histoire et Littérature, permettant ainsi un enrichissement mutuel et l’établissement de référentiels communs. C’est là l’un des apports importants du travail collectif de CLARESS. Ce dernier est pensé comme un approfondissement des thématiques transversales du laboratoire, adaptées et précisées selon la pertinence chronologique de la période retenue (second XVIe siècle-premier XIXsiècle) et les spécialités de chacune et chacun des membres de CLARESS. Ainsi, au-delà des scansions politiques, de la succession des régimes et des césures académiques, l’équipe affirme une véritable cohérence. Elle se donne pour objet de considérer ce temps long, ce qui lui permet de cerner de près les évolutions et les reconfigurations du clivage public/privé au fil de ces décennies. Cela se concrétise par l’investissement dans les travaux du laboratoire (séminaires et colloques) avec le souci d’enrichir l’approche trans-périodique et pluridisciplinaire de POLEN. Néanmoins, l’axe CLARESS souhaite également proposer des enquêtes qui lui soient propres, de manière à accueillir les travaux individuels et à susciter des dynamiques collectives internes. L’axe central des travaux de CLARESS relève ainsi d’une réflexion sur l’articulation dialectique entre privé et public, analysée par le biais des pratiques d’écriture. Cette distinction ne renvoie pas à une séparation d’espaces ou de genres littéraires, mais à des pratiques (au sens développé par l’Histoire de la vie privée), approche qui constitue un résumé de la démarche de l’équipe. La correspondance, par exemple, à l’origine privée, peut être publicisée par la lecture collective ou l’impression. Les mémoires judiciaires font passer les faits privés à la sphère publique et les recomposent selon des modèles stabilisés par l’usage public (religieux, juridique, littéraire). Les notions d’usages, d’appropriations, de circulations, sont ici centrales et nourrissent une attention à la construction permanente des relations entre ces deux dimensions. L’écriture et les pratiques de l’écrit sont ainsi autant des témoins que des supports, des modes de définition que de transgression des rapports entre public et privé. Par conséquent, CLARESS interroge ici la notion de normes, tant comme règles sociales que comme cadre politique ou contraintes sociales. Trois dimensions ont été retenues :

  • Le premier niveau est celui du discours public sur le privé, souvent prescriptif, qu’il s’agisse de la pastorale religieuse, du discours politique, juridique ou judiciaire ou encore de l’écriture de l’Histoire. Vus comme autorités ou institutions, les pouvoirs, qu’ils soient ecclésiastique, politique, savant ou proprement culturel, viennent proposer des modèles, ensuite adoptés, intériorisés, discutés, amendés, corrigés, voire détournés. Les écrits professionnels peuvent être soumis au contrôle des pouvoirs académiques, administratifs, hiérarchiques, etc. Les récits de vies pieuses se situent face à un modèle de sainteté qu’ils réinterprètent plus ou moins fortement.
  • Le deuxième niveau est celui de l’intériorisation de ces prescriptions et de ces limites. Si les écritures non-fictionnelles et à la première personne permettent d’analyser les rôles, enjeux et conditions d’une écriture du quotidien aux formes plurielles, recouvrant les domaines professionnels, religieux, savants ou personnels, elles sont également souvent régies par des normes qui les limitent et les conditionnent. Les textes fictionnels se saisissent des normes de comportement, les représentent, les interrogent ou les contestent, y compris par des alternatives proposées dans l’espace d’expérimentation que constitue la fiction.
  • Le dernier angle est celui du travail de la relation aux pouvoirs par l’écrit, et ce au niveau de la réception, autre axe de l’équipe, qui l’ouvre sur le politique au sens large, dans lequel les pouvoirs sont envisagés comme l’un des partenaires de relations et interactions entre des acteurs variés, depuis les plus hautes sphères des gouvernements jusqu’aux publics.

Pour ce faire, l’écrit est réinséré dans des trajectoires individuelles et collectives, saisi dans ses conditions de production, sa matérialité, sa réception et sa reprise. En un mot, il est replacé dans les pratiques sociales, culturelles et politiques qui le suscitent et qu’il motive. Cela suppose une diversité de genres d’écrits. Si les écrits du for privé, mémoires et correspondances, ont constitué le noyau initial des travaux de l’axe, et continuent d’en former un support essentiel, tant par l’édition que l’analyse, les travaux individuels et collectifs intègrent également l’écrit politique et administratif, de circonstance, la poésie, le roman, le théâtre, la presse, dans différents registres (professionnel, religieux, littéraire, savant, personnel). Dès lors, le triptyque «Pouvoirs, Lettres, Normes» du laboratoire se décline pour CLARESS en « public/écrit/privé » et une mise en dialogue des deux extrêmes par l’écrit, dynamique à laquelle contribue fortement la revue de l’équipe, Épistolaire. Cette thématique centrale et transversale s’articule en trois problématiques majeures, dont deux prolongent le précédent contrat.

 

1) Écrire le privé

 

L’objet d’étude est d’abord constitué par les écritures ou récits de soi à la première ou troisième personne : correspondances, récit de vie, autobiographie, testament, écrit professionnel, livres de compte. Leur analyse permet d’interroger l’influence des modèles de rédaction, d’affiner une typologie, de développer une analyse thématique (conception du religieux, du politique, circulation littéraire, connaissance scientifique et artistique...) et de démontrer des circulations. Cependant, afin d’intégrer une réflexion sur le privé qui ne se limite pas à celle des genres apparemment dédiés, est également prise en compte l’écriture fictionnelle sur le privé, comme celle des romans-mémoire, du théâtre et le récit qu’en font par exemple les mémoires judiciaires ou l’écriture de l’Histoire. La catégorie « privé » n’est ainsi pas seulement délimitée par le type d’écriture ou le genre associé par l’histoire littéraire, mais par le contenu même des textes et documents ou la posture de leur rédacteur. La question des usages et circulations est ici essentielle, en ce qu’elle permet de réinterroger les typologies, de comprendre les processus de passage à l’écriture et les choix des modes d’expression. Cette enquête nourrit également une réflexion sur le biographique, vu non comme genre prédéterminé mais comme pratique d’écriture.

 

2) L'écriture de l'événement et de l'actualité

 

Plus qu’un inventaire des faits retenus, indispensable en première approche, la volonté est ici d’interroger un travail d’information, parfois d’authentification, dans le cadre de sources variées et non exclusives a priori. La mise en lumière et l’analyse des commentaires permettent de saisir les positionnements personnels et l’élaboration d’une pensée critique. Dans la démarche de l’équipe, le choix du support et du format en est partie prenante et ouvre sur la notion de stratégie d’écriture et l’interrogation de son efficacité, entre prise en note d’un souvenir, récits distancié, mise en scène ; dans une approche qui se veut globale dans la mise en forme de la circonstance. Cet axe a déjà été travaillé de manière informelle dans le précédent contrat, mais prend ici une ampleur nouvelle.

 

3) Les pouvoirs et l'écrit

 

En privilégiant les domaines du contrôle professionnel (académique ou corporatif), de la pastorale religieuse ou de l’autorité politique (formelle ou non), cette thématique veut souligner une dialectique. D’une part, l’étude vise à souligner les dimensions prescriptives, soit par la production de modèles textuels, soit par le contrôle sur les pratiques de l’écrit et l’indication d’usages interdits, soit par la sollicitation d’écrits de légitimation. D’autre part, l’interrogation porte sur les résistances, réinterprétations et détournements qui se déclinent dans toute une palette d’attitudes. Il s’agit donc d’interroger le rapport autant à des institutions qu’à des normes, et d’en mesurer les effets et les limites. L’écriture au nom d’un pouvoir ne se limitant pas à une simple reproduction, elle permet aussi des effets de création et d’expression.

 

Le thème du rapport public/privé et les trois problématiques déclinées ci-dessus irriguent les travaux individuels des membres de CLARESS. Ces axes correspondent aux pistes de travail proposées par certains membres et réunissent systématiquement plusieurs membres de l’équipe. Dans le cadre du nouveau contrat, CLARESS veut également porter une nouvelle thématique commune qui croise les différentes problématiques mentionnées et envisage sous un nouvel angle le rapport entre public et privé. Intitulée « Revers et désordres de la réputation du XVIe au XIXe siècle », elle sera l’objet de journées d’étude et d’un colloque aboutissant à une publication collective, comme cela a été le cas pour les thématiques du Secret et de l’Anecdote, dont elle constitue un prolongement naturel. Trois volets la structurent :

  • La fabrique de la réputation. Il conviendra en premier lieu d’identifier les instances et les lieux, formels ou informels, qui participent à la construction, la validation ou la révision de la réputation des individus et des groupes. Cela conduira à saisir les stratégies mises en place et suscitées par l’importance de la réputation dans la société d’Ancien Régime. Une place de choix sera faite aux échecs, et donc au rôle des instances critiques et à l’efficacité du dénigrement ; autant de phénomènes qui, en creux, permettent de saisir des « logiques » de la réputation propres à la période. Une attention particulière sera également accordée aux variations de la réputation, et cela à deux niveaux : dans le temps, entre le XVIe et XIXe siècle, mais aussi, à l’échelle des trajectoires sociales individuelles.
  • Réparation et réputation paradoxale. L’analyse portera ici sur les réactions à la diffamation, au déclassement ou simplement à l’échec de la recherche de la réputation. Cette approche implique, d’une part, une interrogation sur les stratégies de réparation et de réhabilitation (analyse des critères, instances et supports mis en place et réflexion sur les raisons de l’échec, stratégies sociales et politiques), ce qui permettra de mesurer l’efficacité des stratégies mises en œuvre, notamment des pratiques d’écriture et de publication. D’autre part, la question du retournement de certains critères (reconnaissance académique, proximité royale, réussite sociale, etc.) constituera un élément central pour saisir ces dynamiques de représentations sociales, participant à la construction de ce qui peut être qualifié de « réputation paradoxale ». Cela peut concerner la question du respect humain et sa critique, les jeux sur les codes sociaux comme le discrédit académique ou l’exil politique, les minores.
  • Efficacité sociale et estime de soi. Enfin, il s’agira de ne pas négliger les conséquences de ces « revers et désordres » de la réputation sur l’individu, depuis sa position sociale jusqu’à son image de soi. Parmi les pistes envisagées, l’accent sera mis sur le ressenti du discrédit et sa manifestation par l’écrit. Cette approche permet alors de poser la question de la fonction de l’écrit en termes de compensation, correction, ou encore de justification. Au-delà s’ouvre la question fondamentale du rapport entre public et intériorité, autre degré du privé, qui s’impose comme un moyen de poser la question de la place de la réputation dans le rapport de l’individu au monde et sa construction de soi. Bien entendu, de tels questionnements rejoignent des problématiques contemporaines sur la réputation et sa remise en cause, notamment dans le contexte numérique, et l’équipe aura à cœur d’établir des passerelles, construites et raisonnées, entre les réalités du passé et les phénomènes actuels.