Soutenance de thèse de Grégoire TAVERNIER

Cette thèse s'attache à montrer en quoi l'ambition sociale constitue une passion "régnante" (Taine) dans les représentations collectives au XIXe siècle, phénomène de masse répertorié et dramatisé par les romanciers. Nous suivrons à travers eux la dialectique d'une passion à la fois démocratique dans le personnel et les effectifs qu'elle mobilise (la jeunesse plébéienne) et aristocratique dans l'imagerie glorieuse et les objectifs qu'elle s'assigne (s'approprier, en les méritant, les privilèges du rayonnement et du pouvoir). Le roman au XIXe siècle exploite cette passion moderne en répondant aux vœux formulés par Germaine de Staël dans son "Essai sur les fictions" (1795). À la croisée du roman de mœurs (sous la bannière documentaire), du roman de formation (sous la bannière cognitive de l'apprentissage, du héros et du lecteur) et du récit de passion (sous la bannière dramatique), s'élabore en effet à l'âge postrévolutionnaire un roman de l'ambition. Mû par un héros conquérant, le roman de l'ambition interroge les conditions de l'accomplissement de soi et de la vie en communauté, la convergence des intérêts personnels et de l'intérêt général. S'il démasque les principaux mythes (libéraux, républicains, utopiques) de cette convergence, il n'en reste pas moins fasciné par la figure énergique de l'ambitieux. Là est le paradoxe d'une passion moralement suspecte, mais qui atteint esthétiquement, dans le malheur qu'elle inflige et qu'elle s'inflige, le sublime du jusqu'au-boutisme. L'exploration d'un large corpus de textes romanesques, de "Cinq-Mars" (1826) à la fin des "Rougon-Macquart" (1893), par-delà la césure flaubertienne et l'hypothèse de la "mort du héros", qui précisément survit chez l'ambitieux, pourra permettre de s'en persuader.