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Décentrement(s) : Théories et pratiques d’un concept nomade

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Colloque international marquant les 10 ans du laboratoire (EA) REMELICE, les 31 mars et 1er avril 2022, Université d’Orléans (Hôtel Dupanloup)

Affiche du colloque Décentrement du 31 mars au 1er avril 2022 à l'hôtel Dupanloup à Orléans

Date -
Heure 08h30 - 21h00

Le laboratoire orléanais REMELICE, qui fêtera ses 10 ans en 2022, entreprend de penser son objet d’étude structurant (les langues-cultures) au prisme du concept topique, mais non aisément défini, du décentrement. Nous invitons des communications portant sur les aires anglophones, hispanophones, japonophones et sinophones, ainsi que les communications portant sur les arts visuels, toutes aires géographiques confondues.

Ce colloque se veut l’occasion de saisir le concept de décentrement de manière explicitée et systématique, et de cerner les limites d’un outil apparemment, et paradoxalement, central de notre modernité. Le décentrement apparaît comme le principe de toute pensée critique, mais il constitue également, poussé dans ses derniers retranchements, une mise en crise de toute pensée – comment en effet, s’abstraire de son point de vue, centre résilient et persistent de tout système intellectuel ? Est-il simplement possible de décentrer entièrement la pensée, une pensée, sa pensée ? Cixous écrit bien, tout en habitant ce monde de l’exil dont le préfixe exprime le décentrement, « Sans centre, il est presque impossible de créer. Il faut que ça s’accroche quelque part » (31). Jusqu’où peut-on désaxer disciplines, savoirs et discours, sans verser dans l’absence de sens – en d’autres termes, est-il réellement possible de penser le(s) décentrement(s) ? Y a-t-il même un centre, des centres, dans notre monde mondialisé, projeté dans le post-structuralisme théorique et le multi-latéralisme/polylatéralisme politique, économique et esthétique ? Qu’y aurait-il à gagner dans cette perte du centre ? Quelles traces, concrètes ou symboliques, reste-t-il d’un centre ancien après sa relégation ? Oscillant entre des formes matérielles, voire, mémoriales et monumentales, et une évanescence furtive, le décentrement permet de penser le transculturalisme sous ses diverses formes, ainsi que l’interdisciplinarité. Il nous place du côté de processus en cours, de la créolisation, de la relation, dans le sens que Glissant donne à ce terme.

            Le concept de décentrement ne se confond pas avec eux, mais touche à d’autres concepts : déplacement, déséquilibre, décloisonnement, désenclavement, défiguration, déliaison, qui disent tous, de par leur préfixe, la rupture, le changement soudain et peut-être brutal. De ce point de vue, le concept de décentrement est un opérateur privilégié pour scruter ce qui se passe dans le mouvement du passage, et peut fonctionner comme matrice de tout transfert interculturel. On pourrait pousser l’analyse plus loin en voyant dans le(s) décentrement(s) un moment privilégié de crise, où anciens et nouveaux ordres se trouvent confrontés, nous mettant en demeure de penser le contemporain en ce qu’il contient de modalités du futur, et de hantises du passé. Ce mouvement, donc, est également un moment, une tension, voire, une contradiction, qui éloignent de nous la possibilité de la stabilité et en définitive de la vérité telle qu’elle est communément définie (Soja). Rapport au monde mobile et fugace, le décentrement ouvre des horizons épistémologiques qu’il conviendra d’explorer. Introduisant l’anomalie dans la norme, opposant le désordre à l’ordre, glissant la transgression et la subversion au sein de structures et de systèmes, le décentrement n’est pas un concept spatial abstrait : il énonce les catégories du mouvement, du changement, de la pensée en résistance, et des espaces d’un savoir fluide (Glissant).

            En termes éthiques, le décentrement est une promesse d’altruisme, un renoncement à sa propre perspective, laquelle peut être vue comme le centre le plus réduit, noyau incassable de notre intellection du monde (Gagnon). On peut même imaginer le décentrement comme un lieu de sociabilité, à rebours de l’éloignement qu’il semble imposer et provoquer ; comme une situation d’empathie, plutôt que comme l’instauration d’une relation étrangère. A cet égard, on pourra tisser des liens avec la pédagogie, la transmission, les théories de l’éducation, qui ont pu voir dans le décentrement un rapport à l’autre propice aux apprentissages.[1] Plus généralement, le décentrement représente un concept pertinent pour voir s’opérer un dépassement de l’individu, sans pour autant basculer dans un universalisme abstrait et souvent compromis avec une confiscation hégémonique de la compréhension de notre monde, et de ses représentations.

En sciences politiques et sociales, le décentrement peut être pensé en termes de délégation de gouvernance (décentralisation), et il est intéressant de voir la manière dont le pouvoir politique « central » se recentre, s’adapte aux pressions des périphéries, intègre les tensions décentrées ou décentralisantes – ou pas. Comment, dans ce contexte, penser les autonomies régionales, qui semblent être une tendance de fond, politique, et sociétale, à l’heure actuelle ? Les catégories de la transition et de l’ambivalence pourront être mises en œuvre afin d’étudier les différentes autonomies régionales récentes (Rosanvallon).

            En termes esthétiques, le décentrement est un jeu de perspective permettant de relire un grand nombre d’œuvres à la lumière d’un arrachement critique du réel, en direction de l’imaginaire (Collot), ou d’une ambivalence entre politique et poétique. Ce concept permet par ailleurs de scruter la cartographie inscrite dans chaque œuvre, qu’elle soit régionaliste ou cosmopolite. Plus largement, dans les tensions introduites par le décentrement entre ancien et nouveau, entre singulier et pluriel, entre ici et ailleurs, entre l’intime et le public, se niche un renouvellement de nos outils théoriques face aux œuvres d’art, tous genres confondus. Dans une perspective post-moderne, le décentrement peut par ailleurs servir de grille de lecture opportune pour les formes récentes exprimant ou représentant la désertion, le dévidement, l’évidement, l’évitement, l’oubli, la ruine, ou encore l’amnésie. A l’inverse, on pourra s’intéresser à une autre forme, excessive cette fois, du « dérangement » de l’art, à l’hypervisibilité médiatique et numérique constatée également (Guattari), qui fait s’exprimer différents défauts d’alignement sur le mode du foisonnement et de l’excès.

Transition dynamique, qu’elle se fasse pacifiquement ou violemment (Descola), le décentrement provoque un re(m)placement du centre qui donc, remodèle l’espace tout entier, ainsi que le temps. Le sens y bifurque, s’y duplique, s’y emballe, sur des modalités rhizomatiques ou franchement excentrées. Le travail définitoire et exploratoire que nous proposons autour de ce concept nous engage sur la route d’une réflexion au sujet des futurs possibles de la mondialisation, à toutes les échelles.

 

Comité d’organisation :

Elodie Gallet

Geneviève Guetemme

Sylvie Maréchal

Nicolas Martinez

Catherine Pelage

Kerry-Jane Wallart

 

Comité scientifique :

Hugues Azerad, Magdalene College, Cambridge (Royaume-Uni)

Sandeep Bakshi, Université de Paris 

Anne Delouis, Université d’Orléans 

Emmanuel Guez, ESAD Orléans

Sophie Large, Université de Tours
Ariane Le Moing, Université de Poitiers

Deborah Madsen, Université de Genève (Suisse)

Delphine Munos, Université de Gand (Belgique)

Lionel Souquet, Université de Bretagne Occidentale

Anne Ullmo, Université de Tours 

David Waterman, Université de la Rochelle