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Heure | 14h00 - 18h00 |
Adresse | Auditorium Jean Margat - BRGM |
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La Première Guerre mondiale (1914-1918) sur le front occidental fut la Grande Guerre de l’Artillerie. Sa puissance, sa précision et ses portées ne cessèrent de croître durant le conflit. Son usage à des échelles encore jamais vues entraîna l’apparition de problématiques inédites. 25 % du milliard de tirs furent défectueux, constellant le champ de bataille de munitions non éclatées se mêlant aux matériels abandonnés. Ces Restes Explosifs de Guerre (REG) constituèrent un réel danger pour les populations civiles et une entrave à la reprise des activités agricoles. Dès octobre 1914, des instructions furent transmises aux armées pour récupérer ces REG et, si nécessaire, les neutraliser par pétardement (Open Detonation (OD)). Dès la fin de l’été 1918, des quantités considérables de REG s’amoncelèrent lors de la retraite allemande, tandis que les surplus de guerre enflèrent à l’arrière dans les dépôts chez les Alliés. A la cessation des hostilités, il fallut liquider ces dangereux et anxiogènes monceaux de munitions, prérequis incontournable et impérieux aux reconstructions industrielles, agricoles, domestiques et à la restauration de la libre jouissance de la propriété privée. Ces démolitions furent opérées en trois temps : (i) en 1918 et 1919 par les militaires, (ii) entre 1920 et 1929 par des entreprises privées avec deux types de contrats, et (iii) à compter de 1930, sous le même format mais avec un contrat unique. Les REG récupérés étaient cédés aux entreprises moyennant le versement à l’Etat d’une redevance. A compter de 1920, des procédés de déchargement adaptés à chaque type d’engins (dont le brûlage, Open Burning (OB)) furent utilisés dans le but d’optimiser la récupération des matières valorisables des munitions à des fins profitables. Ce désobusage industriel fut émaillé d’accidents, de pollutions, de plaintes, et s’acheva en France vers 1941. Il fut aussi mené en Allemagne sous le contrôle des Alliés dans le cadre de la démilitarisation exigée par le Traité de Versailles. Ces entreprises périclitèrent avec l’amenuisement des tonnages récupérables et la crise économique mondiale dans l’entre-deux-guerres. Entre 2 et 3 millions de tonnes d’engins de guerre furent ainsi éliminées. A l’instar des activités industrielles, les guerres industrielles restent encore depuis la fin du XIXe siècle des facteurs d’anthropisation de l’environnement. Rares sont les recherches portant sur la dimension généralement invisible de cette empreinte, à savoir la dégradation de la qualité des sols et des eaux par les substances chimiques contenues dans les armes. Quelles étaient-elles ? La composition des matériels et matières explosibles, produits puis utilisés par millions de tonnes durant 14-18, renseignée dans les archives, fut confrontée à celle mise en exergue par des analyses chimiques et isotopiques originales sur plus de 70 échantillons de poudres et explosifs, majoritairement de la fin de la guerre, collectés sur le terrain. L’occurrence d’ions perchlorate (ClO4-) dans des explosifs nitrés nitratés standards et des ergols solides ainsi que des compositions s’apparentant à celle de déchets de production du TNT (2,4,6-trinitrotoluène) furent inattendues. Ces composés nitroaromatiques (NAC), leurs impuretés et sous-produits de transformation environnementale furent alors recherchés dans les Eaux Destinées à la Consommation Humaine (EDCH) à l’échelle nationale et régionale (Grand’Est) par l’ANSES, puis à des échelles locales, dans des secteurs du front n’ayant jamais été investis par d’autres activités anthropiques que les combats de la Première Guerre mondiale (Argonne, Vauquois, Vosges, etc.). D’autres secteurs furent aussi étudiés du fait des occurrences conjointes d’ions perchlorate, de cortèges de NAC et de contextes environnementaux et historiques singuliers sur et loin des anciennes lignes de front. Ces recherches approfondies visant (i) la recherche du Fingerprint de 14-18 et (ii) l’établissement de liens de causalités entre les évènements et faits historiques et le marquage actuel des eaux, mobilisèrent des moyens analytiques chimiques et isotopiques (O,Cl de ClO4-, N, O de NO3-) sur les eaux souterraines, de surface et celles ennoyant les galeries de combat profondes des systèmes de guerre de mine (Argonne, Vauquois) qui furent explorées par des moyens spéléologiques. Les signatures isotopiques des eaux furent comparées à celles des explosifs. Les eaux souterraines du quart nord-est de la France sont ainsi marquées, à une échelle régionale, par les constituants les plus mobiles des poudres et explosifs et non par celles et ceux utilisés aux plus forts tonnages (TNT, trinitrophénol, etc.): les ions perchlorate (ClO4-) synthétiques (distincts des ions naturels d’origine agricole ancienne par leurs signatures isotopiques δ18O / D17O), les isomères du dinitrotoluène (en particulier le 2,6-DNT) et du dinitrobenzène (DNB). DNT et DNB sont typiquement allemands. Les ions perchlorate de synthèse possèdent un large spectre de signatures isotopiques δ18O (‰) qui est le reflet de la signature isotopique des eaux des bains électrosynthétiques. Localement, un mélange entre ions perchlorate synthétiques et naturels (Atacama) a été mis en évidence dans un secteur de culture intensive de la betterave sucrière proche du front, pointant la possible superposition des empreintes perchloratées agricoles et militaires anciennes le long des anciennes lignes de front. L’occurrence d’ions chlorate (ClO3-) ne dérivant pas de la dégradation des ClO4 signe une influence d’explosifs français alors que la présence d’ions ClO4- n’est pas discriminante concernant l’origine de cet explosif. Les pollutions concentrées des eaux se mesurent là où de forts tonnages de matériels explosibles furent (i) détruits par OD et/ou (ii) utilisés et/ou abandonnés (secteurs de guerre de mines), celles, diffuses, s’observent ailleurs sur le front et seraient liées aux résidus d’explosifs (d’engins déflagrés) dispersés dans les sols et aux munitions endommagées éparses en cours de corrosion avancée. L’empreinte de 14-18 dans les eaux souterraines ne se restreint donc pas aux secteurs situés sur les anciennes lignes de front et potentiellement tout le territoire est concerné, là où les surplus de guerre furent liquidés. Les pollutions liées aux destructions de REG par brûlage (OB) s’avèrent sévères, spectaculaires (par l’action phytotoxiques des Eléments Traces Métalliques), rares et locales, notamment là où des munitions chimiques ex-allemandes furent brûlées. Ces pollutions polymétalliques (As, Zn, Cu, Pb, Hg, etc.) sont aussi marquées par des teneurs extrêmes en dioxines et furanes chlorées, bromées, et en moindre mesure par des sous-produits organo-arséniés. Les cortèges de polluants de ces résidus de brûlage, reflètent la typologie des engins brûlés et les pratiques et procédés d’OB. Ces pollutions, peu ou pas mobiles, impactent peu les eaux, mais surtout les usages des sols. Le nettoyage des anciens champs de bataille et la liquidation des REG de 14-18 commuèrent dans l’entre-deux-guerres les pollutions pyrotechniques des sols aux effets immédiats en pollutions chimiques aux effets différés et chroniques. Cette recherche originale, menée aux interfaces poreuses entre histoire environnementale et militaire et les géosciences, apporte la démonstration que la brutalisation environnementale qui accompagne les guerres modernes, moments paroxystiques courts mais d’une extrême violence, marque durablement les sols et les eaux. L’empreinte de la guerre et de la sortie de guerre industrielle persistera sur des échelles de temps sans commune mesure avec celle des évènements l’ayant généré.