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Pourquoi Confucius ?

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Le choix de Confucius comme nom emblématique des instituts culturels de la Chine à l’étranger n’est pas dû au hasard. Il tient au rôle majeur du vieux sage dans la civilisation chinoise, voire asiatique.


L’homme  

 

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Confucius

 

Pour les Chinois, il s’agit de Kong (孔) Fuzi (夫子), c’est-à-dire Maître (Fuzi) Kong. En Occident, depuis les missionnaires du XVIè siècle, on parle de Confucius, latinisation de Kongfuzi. Philosophe, enseignant, érudit, moraliste, homme politique, père du système éducatif de la Chine ancienne, l’homme a eu une vie personnelle exceptionnelle, bien que sa biographie (connue surtout à travers le monumental Shiji, 史记, ou Mémoires historiques en 130 volumes du célèbre historien Sima Qian, mort en 86 av. JC) soit incertaine et parfois émaillée de légendes.

 

Selon l’historiographie traditionnelle, Confucius serait né en 551 av. JC dans la ville de Qufu (曲阜), dans l’ancien « pays » de Lu (鲁) (actuelle province du Shandong) et mort en 479 avant notre ère, une dizaine d’années avant la naissance de Socrate (- 470 ou 469 av. JC). Il a vécu dans un contexte de chaos politique : au cours de la très longue histoire du royaume de Zhou (1046 av. JC-256 av. JC, donc près de 800 ans), la sous-période Chunqiu dite des « Printemps et Automnes » (春秋, 771-481/453 av. JC) a été marquée par une fragmentation en principautés (ou Cités-Etats) rivales et en guerre permanente.

 
La vie de Confucius peut être divisée en quatre grandes périodes :
  • une enfance dans une famille d’origine aristocratique mais exilée, déclassée et appauvrie ;
  • une ascension sociale dans l’administration et la politique locales ;
  • une douzaine d’années de philosophe itinérant à travers la Chine ;
  • une fin de vie dans son pays natal comme vieux maître entouré de multiples disciples.

 

Ses ancêtres nobles ont dû fuir la principauté Song (actuel Henan) et ont trouvé refuge dans la principauté voisine de Lu. A l’âge de trois, son père Kong He, commandant d’une garnison locale, meurt et laisse sa famille dans la misère. Après divers postes de fonctionnaire dans l’administration locale ou de précepteur, il accéda vers l’âge de quarante ans à la fonction de préfet, puis de ministre de la principauté de Lu.

 

Ce lettré décide ensuite de renoncer à sa carrière et de partir sur les routes pour prodiguer ses conseils aux princes et restaurer l’harmonie du royaume. Penseur accompagné par de fidèles disciples, il est allé ainsi pendant plus de douze (ou quatorze) ans de principauté en principauté (Wei, Cao, Song, Chen, Cai…) pour essayer de promouvoir sa philosophie morale et politique et convaincre les princes ; sans succès. Dans ses pérégrinations, il aurait rencontré le célèbre philosophe taoïste, Laozi (Lao Tzeu). Parvenu à l’âge de 68 ans, il est revenu dans son pays natal et a passé les dernières années de sa vie au sein d’une école privée à transmettre son enseignement à, dit-on, plus de 3 000 disciples, qu’ils soient riches ou pauvres ; tels les douze apôtres, 72 d’entre eux auraient accédé à la ren (仁), vertu d’humanité, bienveillance ou générosité.
    

Cette école de Confucius était un cas exceptionnel à cette période, à une époque où seuls les nobles pouvaient accéder au savoir. « Mon enseignement est destiné à tous, sans distinction » disait-il. Le « premier des sages », « modèle sacré pour dix mille générations », meurt dans la gloire dans l’année de ses 73 ans, presqu’au même âge que Socrate (70 ans).
  

 Depuis 1994, le temple, le cimetière et la demeure de famille de Confucius à Qufu sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO et sont devenus un haut-lieu de pèlerinage. Au fil des siècles, le temple construit à sa mémoire dans les deux années après sa mort est devenu un véritable complexe architectural d’une centaine de bâtiments. Le cimetière familial, le plus ancien et plus vaste (200 ha) du monde, contient les tombes et stèles de Confucius et de ses 100 000 descendants, tous anoblis, ainsi que des milliers d’arbres, parfois très rares. La modeste maison de la famille Kong est devenue un puissant ensemble composé de plus de 150 bâtiments aristocratiques. Le 28 septembre, jour anniversaire supposé de sa naissance, constitue un important jour de fête en Chine mais aussi à Taiwan, au Vietnam, avec notamment des cérémonies en hommage aux enseignants.

L’oeuvre

Comme Socrate, Confucius n’a laissé aucun ouvrage, mais ses disciples (ou disciples de disciples) ont compilé sa pensée dans un petit livre de sagesse et de morale, Entretiens (Lun Yu, 论语 en chinois, traduit par « Dialogues éthiques ») dont le texte définitif date de 400 av. JC. Appelés aussi Analectes, ils sont constitués de bribes littéraires ou fragments variés associant des proverbes, des maximes, propos familiers, des préceptes, des anecdotes, des paraboles et des remarques mordantes ou malicieuses ; ici, aucun jargon, lourde argumentation, propos systématique, raffinement logique ou théologique. Les Entretiens ne sont pas du tout un traité philosophique, et encore moins un traité de métaphysique, mais bien plutôt un manuel du bien vivre et du bien gouverner.

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analectes


    

Confucius aurait consacré une partie de sa vie au remaniement et à la transmission des ouvrages dits « classiques » : les Cinq Classiques (五经 Wujing) : le Classique des odes (诗 经 Shijing), le Classique des mutations (易经 Yijing), le Classique des documents (书经 Shujing), le Livre des rites (礼记 Yijing), les Annales des Printemps et Automnes (春秋 Chunqiu) et le Canon de la musique (乐经 Yuejing, aujourd’hui disparu). Pour Confucius, ces textes définissent la tradition, à laquelle les principautés et leurs dirigeants doivent revenir.
    

Selon la formule récurrente « Le Maître dit », les Entretiens se présentent comme un collage de citations, parfois célèbres, parmi lesquelles :

 

Je ne cherche pas à connaître les réponses, je cherche à comprendre les questions.


Lorsque l'on se cogne la tête contre un pot et que cela sonne creux, ça n'est pas forcément le pot qui est vide


Pas trop d'isolement ; pas trop de relations ; le juste milieu, voilà la sagesse


L'invariabilité dans le milieu est ce qui constitue la vertu


Ne vous souciez pas de n'être pas remarqué ; cherchez plutôt à faire quelque chose de remarquable


Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson


Celui qui ne progresse pas chaque jour, recule chaque jour


Une petite impatience ruine un grand projet


 La vraie faute est celle qu'on ne corrige pas


Celui qui aime à apprendre est bien près du savoir


Que l'on s'efforce d'être pleinement humain et il n'y aura plus place pour le mal


Celui qui déplace la montagne, c'est celui qui commence à enlever les petites pierres


La vie de l'homme dépend de sa volonté ; sans volonté, elle serait abandonnée au hasard


Apprendre sans réfléchir est vain. Réfléchir sans apprendre est dangereux


Le Maître pêchait à la ligne, et non au filet. A la chasse, il ne tirait jamais un oiseau qui s’était posé


Le Maître rejetait absolument quatre choses : les idées en l’air ; les dogmes ; l’obstination ; le Moi


La joie est en tout ; il faut savoir l'extraire


Plutôt que de maudire les ténèbres, allumons une chandelle, si petite soit-elle


Savoir que l'on sait ce que l'on sait, et savoir que l'on ne sait pas ce que l'on ne sait pas : voilà la véritable intelligence.


Seuls ceux qui sont très savants et ceux qui sont très ignorants ne changent pas d'avis


La vraie connaissance est de connaître l'étendue de son ignorance


Je ne peux rien pour qui ne se pose pas de questions


 Appliquez-vous à garder en toute chose le juste milieu


Se peut-il qu'un homme soit moins sage qu'un oiseau ?


 Quand vous plantez une graine une fois, vous obtenez une seule et unique récolte. Quand vous instruisez les gens, vous en obtenez cent .


 Mon enseignement s’adresse à tous, indifféremment


 L’honnête homme envisage les choses du point de vue de la justice, l’homme vulgaire, du point de vue de son intérêt


 Du vivant de vos parents, n’entreprenez pas de longs voyages. Ou, si vous voyagez, vous devez laisser une adresse


Je ne veux ni ne rejette rien absolument, mais je consulte toujours les circonstances


Étudier tout en répétant, n'est-ce pas source de plaisir ?


La vie est vraiment simple, mais nous insistons à la rendre compliquée


Le bonheur n'est pas toujours dans un ciel éternellement bleu, mais dans les choses les plus simples de la vie.


Le plus grand voyageur est celui qui a su faire une fois le tour de lui-même


Examine si ce que tu promets est juste et possible, car la promesse est une dette.


N'oubliez pas que quand vous voulez faire quelque chose, vous avez contre vous les gens qui voulaient faire la même chose, les gens qui voulaient faire le contraire et la masse des individus qui ne voulaient rien faire.


Si tu empruntes le chemin de la vengeance, prépare deux cercueils.


La vie ne se mesure pas par le nombre de respirations prises, mais par le nombre de moments qui nous ont coupé le souffle.


Confronté à la roche, le ruisseau l'emporte toujours, non pas par la force, mais par la persévérance.


La plus grande preuve d'amour qu'on puisse donner à une girafe, c'est de lui tricoter un foulard.


La connaissance est la clé du pouvoir, de la sagesse.


Le bonheur ne se trouve pas au sommet de la montagne, mais dans la façon de la gravir


On a deux vies, et la deuxième commence quand on se rend compte qu'on n'en a qu'une.


   

A travers ces quelques citations, on peut saisir les principales idées forces et valeurs de Confucius : sagesse : humilité ; simplicité ; auto-dérision ; processus d’amélioration de soi ; valorisation de l’étude et de la connaissance pour tous ; valorisation de l’esprit critique et du doute ; respect de l’autorité ; rejet du despotisme ; devoir de vertu et d’exemplarité des élites ; recherche de l’harmonie sociale et individuelle, du juste milieu, de l’équilibre ; pragmatisme et gradualisme ; rejet des idées absolues ; responsabilité individuelle. A la fois sagesse, humanisme, éthique, le confucianisme promeut le modèle du junzi (君子) l’honnête homme, le gentilhomme, l’homme de qualité, l’homme vertueux, l’homme noble qui pratique la ren (仁). Il préconise le retour à l’ordre ancien, rappelle aux faibles leurs droits et leurs devoirs aux puissants, considère que l’obéissance du peuple suppose la vertu et la bienveillance de ses dirigeants ; il insiste sur les règles de la vie en société, ainsi que sur la nécessité des rites et de l’étiquette. Surtout, il place l’homme au centre de la réflexion en attachant une importance extrême à l’instruction et à sa démocratisation.

L’influence du confucianisme

 
    Les Entretiens de Confucius, vieux de 2 500 ans, représentent l’un des livres les plus lus au monde et a fait l’objet de plusieurs dizaines de traductions. La pensée confucéenne, malgré certains débats ou éclipses, a eu une influence majeure en Chine, mais aussi hors de Chine, notamment Corée, Vietnam, Japon, ainsi que dans les communautés de la diaspora chinoise. Dans cette « aire culturelle confucianiste » dont la Chine constitue l’épicentre, la pensée du vieux maître a exercé et continue d’exercer une profonde influence sur le système éducatif, mais aussi la culture, la politique et la société de ces pays d’Asie. Le confucianisme est ainsi devenu, avec le bouddhisme, le christianisme et l’islam, l’un des quatre grands systèmes culturels de la planète.
  

Néanmoins, Confucius et ses idées n’appartiennent pas seulement à la Chine, ni même à l’Asie orientale, mais bien au patrimoine universel. A partir du XVIIe siècle, les missionnaires européens découvrirent la pensée de Confucius. Au XVIIIe siècle, les philosophes des Lumières s’appuyèrent sur les idées de Confucius pour combattre le despotisme et le principe du droit divin. Voltaire, Quesnay (surnommé le « Confucius européen ») ou d’Holbach vouaient un culte à Maître Kong, devenu une figure de la modernité.


Pour en savoir plus : voir notamment les traductions de Pierre Ryckmans ou d’Anne Cheng.