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L’Orléanais, terre de juristes. Ici, c’est le droit #11 Hamon

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Léo HAMON, ministre gaulliste de gauche, professeur à la faculté de droit d’Orléans

Léo Hamon a enseigné à la jeune faculté de droit d’Orléans-La Source juste après son passage à Dijon. Pour tous, « Léo parleur », comme le brocarde gentiment le Canard Enchaîné lorsqu’il est porte-parole du gouvernement Chaban-Delmas, incarne le visage souriant d’un gaullisme de gauche, plus austère et intransigeant chez Vallon et Capitant. Le fils d’exilés juifs russes et bolcheviks laissé seul à Paris à 14 ans connaît une carrière universitaire tardive, comme son entrée au gouvernement en 1969 après l’échec du référendum.

 

Léo Hamon, c’est un attachement à l’État placé au-dessus de toute appartenance confessionnelle, une admiration absolue envers la personne du général de Gaulle, un désir de comprendre les ressorts de la société française, en les soumettant à la grille d’analyse des sciences sociales avec un grand libéralisme de pensée, un intérêt pour les doctrines socialistes utopiques du XIXe siècle, puis pour l’histoire monographique locale vue d’en bas, de l’Yonne révolutionnaire. À la gauche du Général, un honnête homme, campé sur le droit et le patriotisme, très « soldat de l’idéal » de Clemenceau : un aperçu d’un parcours « d’acteur réfléchi » sur tout le XXe siècle ou « Léo Hamon, savant et politique ».

Adolescent d’autrefois dans la République des avocats et des professeurs

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Léo Hamon

Le 14 juillet 1919, Léo Goldenberg suit ses parents à Berlin, triste de ne pas être à Paris pour la fête nationale, lui dont la France, à l’instar de Barrès, « a toujours été le premier personnage » de sa vie. Dans cette France de l’immédiat après Grande Guerre, le jeune fils d’immigré pas encore français et auquel le barreau de la cour d’appel de Paris se refuse une première fois en 1929, prétextant sa trop fraîche intégration, dans un climat d’antisémitisme, fait preuve d’un attachement farouche à la patrie des Droits de l’Homme. Si les parents Goldenberg sont des amis proches de Rosa Luxemburg, Léo Hamon s’interroge « avec étonnement sur l’intensité de l’opposition socialiste à Clemenceau. [Elle] pensait à tort qu’une paix de compromis était possible. L’acharnement de l’opposition me paraît incompréhensible, car Clemenceau respecta les libertés publiques et ne persécuta que les traîtres ». Il condamne ce patriotisme étroit de parti, mis au-dessus de l’intérêt national, reproche récurrent qui le dissuade d’adhérer à un parti dont il partage bien des idées et admire le leader, Léon Blum, fidèle aux idéaux humanistes du « socialisme jeune homme » de Jaurès.

Le culte du débat d’idées et de l’excellence scolaire est si fort qu’il pousse sa famille à accepter une séparation précoce entre le jeune Léo Hamon, qui retourne à 14 ans à l’École alsacienne, et ses parents qui repartent vers « l’avenir radieux » de la Russie soviétique. Dans cet établissement libéral au recrutement « censitaire », plébiscité par les bourgeoisies protestante et juive, Léo Hamon apprend l’essentiel, la méthode de composition française, lit Silbermann, découvre l’amitié et le sport, est fasciné par le jansénisme.

Docteur en droit, mais encore ? La chaire ou le prétoire ?

Après le bac, que faire ? Léo Hamon est séduit par la vie universitaire, il envisage l’agrégation de philo, voire la socio, et ne voit initialement le droit que comme une bifurcation possible vers le barreau. Trois raisons au renversement de ses priorités d’orientation : il n’a pas fait de grec, carence majeure pour l’agrégation de philo ; il n’a aucune envie d’aller enseigner « à Saint-Nazaire ou à Bastia » ; et surtout, la lecture de Léon Duguit le captive, lui semble prolonger dans le domaine du droit public la pensée de Durkheim tout en conditionnant la vie des hommes. Il y associe la méthode sociologique et le goût de l’histoire constitutionnelle et politique.

Il y trouve des fondements à un socialisme non-marxiste, déduit de solidarités collectives étendues et promues par le service public de l’État. Il fait la connaissance de Mendès et d’Edgar Faure, et de son épouse Suzanne qui lui fait découvrir les injustices de la société d’Afrique du nord. Il approfondit son imprégnation du droit administratif et de la jurisprudence du Conseil d’État, la « vénération du droit public, le goût en même temps que la pratique du droit administratif ». La fréquentation de brillants aînés agrégatifs le confirme dans ce choix : Philippe Serre et deux « héritiers » de professeurs de droit, Charles Eisenmann neveu du doyen Lyon-Caen, et René Capitant, « bouillonnant d’idées, d’intuitions et d’inquiétudes ». Jules Basdevant et Achille Mestre le guident sur les voies du droit international et des annotations d’arrêts du Conseil d’État. À la conférence du stage des avocats aux conseils, le « bon ton » consiste alors à feindre un détachement des conflits politiques, attitude également recommandée aux doctorants.

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Il soutient sa thèse en 1932, elle porte sur Le Conseil d’État, juge du fait, mais comme le lui fait remarquer René Capitant, « c’est l’administration du juge qui est [son] véritable sujet » ; le sous-titre souligne les pouvoirs discrétionnaires du juge administratif, qui ne se borne pas à dire le droit existant, mais le construit et le façonne par son contrôle, thèse alors admise en Allemagne et aux États-Unis pour la Cour suprême, mais mal vue de la doctrine française. Or, cette conviction de la marge d’appréciation et de la latitude d’action des autorités administratives et juridictionnelles constitue le fil rouge intellectuel de la réflexion de Léo Hamon, de sa vie politique et parlementaire à ses cours universitaires et à Sciences-Po sur la jurisprudence constitutionnelle.

Sa culture publiciste est encore affirmée par sa décennie de pratique du droit administratif au cabinet de Maurice Hersant où il découvre la Comédie humaine des clients, préparation optimale à ses futures permanences parlementaires. Sa chance est de disposer d’une spécialité rare au bon moment, celui où le décret-loi de 1934 transfère aux conseils de préfecture décentralisés un contentieux auparavant réservé directement au Conseil d’État. Au surplus, le succès des communistes en banlieue parisienne aux municipales de 1935 porte aux responsabilités des « nouvelles couches » en casquettes qui recherchent des défenseurs, Léo Hamon y découvre Georges Marrane et la qualité de la formation et de l’encadrement du socialisme municipal par le centralisme du parti.

Enseigner sans école : liberté et curiosité de l’esprit

Le parcours universitaire est emprunté dans la force de l’âge, par Léo Hamon, lassé de ses activités politiques après son échec aux sénatoriales de 1958, et qui se rappelle à 50 ans ses ambitions de jeunesse, le professorat en droit ; il passe l’agrégation sur le modèle et les conseils d’André Hauriou et les encouragements de René Capitant, précédant de peu Edgar Faure. Sa leçon sur la pensée de Proudhon l’éloigne encore du marxisme parental.

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Grâce à son second rang, il peut choisir Dijon, « vieille et jolie ville » proche de Paris et de la vie de famille. Il y apprécie la liberté et la sécurité intellectuelles, le contact des étudiants, la possibilité de développer le commentaire des décisions constitutionnelles : « Je dois beaucoup à l’université. J’ai été […] un enseignant heureux. » Il y trouve matière à sa curiosité protéiforme, du droit constitutionnel à l’analyse des réalités politiques au sein du Centre d’études des relations politiques, à l’interface de la sociologie, du droit, des sciences politiques et des relations internationales. Son appétence pour La stratégie contre la guerre est peu aronienne, elle mise sur la « convergence » des Blocs de la Guerre froide ; sa curiosité s’étend au rôle croissant de la télévision et se manifeste à travers les entretiens de Dijon et d’Auxerre.

Le désir de se rapprocher de sa famille durant la maladie de son épouse motive sa demande de mutation à Orléans en 1966 : « Elle était moins importante, n’avait pas d’enseignement de doctorat, mais je pouvais faire l’aller et retour en un jour et retrouver le soir mes enfants pour me réchauffer à leur compagnie. » Ce passage a laissé d’autant moins de traces que la coupable négligence des universités dans la conservation de leur patrimoine contemporain réduit à fort peu de choses les dossiers du personnel enseignant-chercheur. Toutefois, une anecdote marquante surnage du ressac de mai 68 en province : les cours sont interrompus, les trains ne circulent plus, le professeur Hamon prend sa voiture pour venir sur le « campus chlorophylle », « Oxford-sur-Loire » de La Source, se demandant avec angoisse comment les examens vont bien pouvoir se tenir.

Prenant la parole en amphi au cours d’une AG, en « professeur conséquent », il souligne l’opportunité de maintenir les examens afin de préserver à la fois les vacances et les projets des étudiants. Un leader vient lui apporter la contradiction : « Ce que le professeur Hamon vient de dire est vrai. Mais il s’agit de savoir ce qui est le plus important : assurer les vacances ou faire la révolution. » Et les examens n’eurent pas lieu… 

Vivre ses choix : l’engagement dans la fidélité et l’indépendance, à la gauche du général

C’est la guerre qui le convainc d’entrer dans la vie publique, à travers l’engagement résistant éminent qui en fait l’un des membres du comité parisien à la Libération. Son jugement est sévère, tant sur la Quatrième République impuissante, que sur le RPF, droitier et « savonnette à vilains » pour anciens vichystes. Léo Hamon cherche sa voie, entre le rêve travailliste avorté de l’UDSR et son compagnonnage laïque au MRP, par l’entremise de Teitgen.

Porte-parole puis secrétaire d’État à la participation, Léo Hamon nourrit l’ambition d’exercer une influence réformatrice de l’intérieur de la majorité pour porter les réformes sociales urgentes, dans l’entreprise comme dans l’université, et favoriser la démocratisation par la participation. Actif, il est toutefois réduit à l’impuissance dans une nouvelle « chambre introuvable » réactionnaire. Son influence s’avère réduite à la seule avancée de la mensualisation des salaires, alors que sa modeste initiative de commémorer le Centenaire de la Commune, puis l’hommage à Léon Blum, se heurtent au veto de l’Élysée. Même son rattachement direct à Matignon en 1972 échoue à former un levier concret de rassemblement des gaullistes de gauche autour de la participation, de transfert progressif du capital aux travailleurs. La réception de l’ordonnance du 17 août 1967 par le scepticisme syndical et la franche hostilité patronale limite le dispositif d’intéressement aux grandes entreprises et conduit Hamon à se rabattre sur l’incitation et la concertation.

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Léo Hamon, sans doute du fait de sa proximité avec Jacques Chaban-Delmas, croit en 1969 en la « Nouvelle société » qui réconcilierait ses deux aspirations fondamentales : stabilité constitutionnelle et réforme sociale participative, gaullisme et socialisme du possible. « Socialiste du dehors », selon l’expression de Roger-Gérard Schwartzenberg, également passé à la faculté de droit d’Orléans, Hamon a toujours été conscient de la faible marge d’action et d’influence de gaullistes de gauche divisés, tiraillés entre désir d’autonomie, souci de rassemblement et risque de fusion, de dilution au sein du mouvement gaulliste. Pompidou, entre son refus de leur consentir un groupe parlementaire en 1967 et le renvoi de Jacques Chaban-Delmas en 1972 resserre la nasse, précipitant l’éparpillement de la nébuleuse, en dépit des tentatives de Léo Hamon de regrouper les brebis égarés au sein du mouvement socialiste par la participation dont il est vice-président en 1971-72. Le glissement par la suite de cette sensibilité vers le nouveau PS d’Épinay est inéluctable, l’apport de ces groupuscules se limitant à un courant intellectuel. Léo Hamon veut encore croire à « l’influence par la présence » pour imposer un « réformisme délibéré et avéré ».

La participation des citoyens par la démocratie locale

Léo Hamon a pratiqué le droit municipal et défendu l’interventionnisme du socialisme municipal dès 1935. En 1972, le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas envoie en émissaire Léo Hamon pour défendre sa « régionalisation croupion » et donner l’assurance à Jeanneney « qu’ils allaient opérer des réformes » en faveur de la participation. Comme chez Mitterrand, le doute ne porte pas sur les bonnes intentions mais sur le bon vouloir du président Pompidou. En définitive, la participation concrète n’est introduite que par la loi Faure sur l’université, et après 1981 par les lois Defferre/Mauroy de décentralisation et Auroux sur l’entreprise.

À Alger en 1944, de Gaulle s’adresse ainsi à Philippe Dechartre : « Vous allez rencontrer Vallon et Capitant. Ce sont des gaullistes de gauche, ils vous plairont. Ce sont mes meilleures bouteilles, mais j’en ai peu. » En effet, la conception du gaullisme comme socialisme du possible se heurtait à deux réalités bien connues des universitaires des facultés de droit : la sociologie électorale et la bipolarisation. Son ralliement à François Mitterrand par aversion du conservatisme éclairé de Giscard, et plus profondément par attachement à la mission de la France et au culte du service public, en témoigne : Hamon surmonte dès 1974 « l’épreuve » que vivent les gaullistes et les engage à prendre toute leur place au sein de la gauche, pour y constituer une 4e composante, réaliste et indépendante, être « gaulliste dans la gauche » pour aider le PS à résister au PCF, voire s’y substituer.

Par son parcours politique et universitaire, par son goût de l’enseignement et de la recherche, par le désintéressement de son engagement, il symbolise une époque : Hamon assigne en 1974 aux gaullistes de progrès la mission de faire assumer par la gauche le « sens de l’État ». Évoquant son ami René Capitant, Léo Hamon a pu affirmer que « sans lui, il eût manqué beaucoup au gaullisme de gauche, sans lequel il eût manqué beaucoup au gaullisme tout court ». La formule s’applique aisément à lui-même.

Pour aller plus loin :

  • ALLORANT (Pierre), « Deux parcours exceptionnels : Léo Hamon et Jean-Marcel Jeanneney », in Pierre Bodineau (dir.), Professeurs de droit dans la France contemporaine. Enseignements, recherches, engagements, Editions Universitaires de Dijon, 2015, p. 181-190.
  • ALLORANT (Pierre), « Les juristes gaullistes », in François Audigier, Bernard Lachaise et Sébastien Laurent (dir.), Les Gaullistes. Hommes et réseaux, Nouveau Monde éditions, 2013, p. 317-330.
  • DROIN (Nathalie), « Léo Hamon, parcours d’un gaulliste de gauche après le général de Gaulle », L’œuvre de Léo Hamon. Thèmes et figures, colloque de Dijon mai 2011, Dalloz, 2012, p. 223-239.
  • FAURE (Edgar), Mémoires I, « Avoir toujours raison, c’est un grand tort », Plon, 1982.
  • HAMON (Léo), « La Réforme des Administrations locales », Revue administrative, septembre-octobre 1948, p. 9-14.
  • HAMON (Léo), La stratégie contre la guerre, 1967.
  • HAMON (Léo), « Le gaullisme de René Capitant », René Capitant (1901-1970), Espoir, n° 36, octobre 1981, Institut Charles de Gaulle, p. 17.
  • HAMON (Léo), Les Cents Jours dans l’Yonne – Aux origines d’un bonapartisme libéral, 1988.
  • HAMON (Léo), Vivre ses choix, Robert Laffont, coll. “Vécu”, 1991.
  • QUIRINY (Bernard), « Léo Hamon, savant et politique », L’œuvre de Léo Hamon. Thèmes et figures, colloque de Dijon mai 2011, Dalloz, 2012, p. 242-262.