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L’Orléanais, terre de juristes. Ici, c’est le droit #9 Mirabeau

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Mirabeau, « l’Orateur du peuple », locataire éphémère du Panthéon (1749-1791)

Né le 9 mars 1749 au Bignon-Mirabeau dans le Loiret, près de Ferrières-en-Gâtinais, à 20 km de Montargis, Honoré Gabriel Riquetti de Mirabeau incarne les débuts libéraux de la Révolution française et la naissance d’une vie parlementaire marquée par le talent oratoire. Cormenin voit en lui le plus grand orateur parlementaire, comme son voisin loirétain Berryer sera l’avocat le plus éloquent.

Issu d’une famille de la noblesse provençale, 5e enfant et 2e fils de l’économiste physiocrate Victor Riquetti de Mirabeau, Mirabeau reste associé à la « laideur grandiose et fulgurante » peinte par Victor Hugo associée à une éloquence parlementaire exceptionnelle. Sa tête énorme est défigurée à trois ans par la petite vérole, et son enfance marquée par le peu d’affection de son père le marquis, auteur célèbre de L’Ami des hommes.

Un jeune juriste aixois libertin et embastillé

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Mirabeau

 

Son goût immodéré des femmes et du jeu multiplie les conflits avec son père et les emprisonnements sur lettres de cachet, singulièrement à la suite de l’enlèvement de la jeune épouse du président de la chambre des comptes de Dole, Sophie de Monnier. Mais le juriste aixois, qui a côtoyé Portalis à la faculté, futur rédacteur du Code civil, est tout aussi passionné de politique et s’enflamme durant sa fuite ans son Essai sur le despotisme qui dénonce dans cette forme de gouvernement un « brigandage criminel contre lequel tous les hommes doivent se liguer ».

Les amants sont arrêtés à Amsterdam et Sophie de Monnier condamnée à être enfermée au château de Gien, au couvent des Saintes-Claires, qui deviendra, après la Révolution, l’hospice des enfants abandonnés. Mirabeau est emprisonné au donjon de Vincennes y rencontre Sade et écrit son libelle contre l’arbitraire judiciaire : Des Lettres de cachet et des prisons d’État, mais aussi ses lettres passionnées à Sophie et des écrits érotiques.

Inquiet du risque de disparition de sa lignée, Mirabeau père accepte de faire libérer, sous conditions, son fils qui revoit une dernière fois Sophie de Monnier au château de Gien en 1781. Son épouse légitime demande naturellement la séparation de corps et l’obtient grâce à son défenseur, Portalis. 

Le défenseur des Juifs et l’ami des Noirs

Lié à Talleyrand, il obtient une mission secrète à Berlin du Contrôleur général des finances Calonne, mais il est furieux de ne pas réussir à devenir officiellement diplomate et publie Dénonciation de l’agiotage qui l’oblige à fuir à Liège.  

Il défend les droits politiques des Juifs en 1782 et fait partie des fondateurs de la Société des amis des Noirs en 1788 qui milite pour l’abolition de la traite des Noirs et de l’esclavage dans les colonies.

Du représentant du Tiers-État au monarchien : l’équilibre de l’autorité et des libertés parlementaires

Repoussé par la noblesse, Mirabeau dénonce les privilèges et réussit à être élu par le tiers-état à Aix et à Marseille. Il incarne le 23 juin 1789 la résistance au refus de Louis XVI de réunir les trois ordres. Et pourtant, ce symbole de la révolution nationale constituante accepte de conseiller le roi moyennant finance, en mai 1790.

Ce paradoxe dépasse la simple cupidité ou le besoin d’argent. Mirabeau vit très mal en novembre 1789 le vote de l’incompatibilité des fonctions ministérielles et du mandat parlementaire qu’il prend pour un véritable règlement de comptes à son égard, fruit de la méfiance de la gauche et de la détestation de la droite. En réalité, ses positions constitutionnelles sont constantes, de double défenseur des acquis libéraux de 1789 et de l’autorité des prérogatives exécutives royales.

Ce « en même temps » l’ordre et le mouvement, à la fois la nation et le roi, devient vite inaudible. Inquiet d’un possible nouvel absolutisme de l’Assemblée voire des seuls représentants du Tiers, il défend le veto royal contre l’omnipotence parlementaire, outil de protection du peuple contre les abus de ses propres représentants. De même, il défend éloquemment l’intérêt d’entendre et de contrôler les ministres, et celui de ne décider la guerre qu’avec le double accord de l’Assemblée et du roi.

Ce souci d’équilibre institutionnel est emporté avec lui par sa mort brutale le 2 avril 1791, en dépit de sa brève panthéonisation, interrompue par le soupçon de corruption et de trahison au profit de la Cour. A ce purgatoire, Michelet rétorquera en 1847 : « C’est assez pour ce pauvre grand homme de cinquante ans d’expiation. La France, n’en doutons pas, dès qu’elle aura des jours meilleurs, ira le chercher dans la terre, elle le remettra où il doit rester, dans son Panthéon, l’orateur de la Révolution, aux pieds des créateurs de la Révolution, Descartes, Rousseau, Voltaire. »

Pierre Allorant

Traces mémorielles :

  • Le château de Bignon est vendu en 1789 à Adrien Duport, puis au général révolutionnaire O’Connor, gendre de Condorcet, au poète Patrice de la Tour du Pin et devient, par mariage, propriété de la famille d’Aboville.
  • Il y a une place Mirabeau à Montargis, une rue Mirabeau à Orléans-La Source, à Lorris et dans le 16e arrondissement de Paris, et le célèbre Cours Mirabeau à Aix-en-Provence.
  • Le pont Mirabeau, construit par Jean Resal de 1893 à 1896, a été chanté par Apollinaire et peint par Paul Signac.
  • De nombreuses statues représentent l’orateur haranguant ses collègues parlementaires, à Aix, Montargis, à Pertuis (Vaucluse)…
  • Un bas-relief en bronze de Dalou représente à l’Assemblée nationale la scène fameuse du 23 juin 1789 au cours de laquelle Mirabeau s’oppose au marquis de Dreux-Brézé qui invitait les députés du tiers-état à se retirer : « Nous sommes ici par la volonté du peuple, et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ». Sur la même scène, la peinture à l’huile sur toile d’Eugène Delacroix, esquisse pour le concours de 1831 lancé par Guizot pour décorer la salle des séances du palais Bourbon, se trouve au musée du Louvre.

Pour aller plus loin :

  •  Alphonse Aulard, Les grands orateurs de la Révolution : Mirabeau, Vergniaud, Danton, Robespierre, F. Rieder, 1914, 304 p.
  • Guy Chaussinand-Nogaret, Mirabeau entre le roi et la Révolution, Seuil, 1986, 408 p.
  • Edna Le May (dir.), « Mirabeau », Dictionnaire des Constituants, tome 2, Paris, 1991.
  • Évelyne Lever (éd.), Les amours qui finissent ne sont pas les nôtres. Lettres à Sophie de Monnier (1777-1780), Tallandier, 2013, 152 p.
  • Marcel Morabito, « Mirabeau », in Patrick Arabeyre, Jean-Louis Halpérin et Jacques Krynen (dir.), Dictionnaire historique des juristes français XIIe-XXe siècle, PUF, « Quadrige », 2015, p. 736-738.
  • François Quastana, La pensée politique de Mirabeau (1771-1989). Républicanisme classique et régénération de la monarchie, Aix, PUAM, 2007.
  • Pierre Serna, « Sade et Mirabeau devant la Révolution française », Politix, n° 6, « les liaisons dangereuses : histoire, sociologie, science politique », printemps 1789, p. 75-76.
  • Albert Soboul, « Avant-propos », Les Mirabeau et leur temps, Société des Etudes Robespierristes, Centre aixois d’études et de recherches sur le XVIIIe siècle.